La transhumance d'une misérable petite vis...
Une petite vis bien banale
s'ennuyait dans sa boîte, parmi ses cent sœurs de sang.
Elle se
lassait des conversations stériles de ses sœurs.
-Regarde comme ma croix est
jolie!
-T'as vu ma pointe comme elle est fine!
-T'as vu le tournevis d'à
côté, comme il a l'air costaud!
Et patati et patata...
Bref, elle ne
supportait plus sa misérable condition et attendait avec impatience le grand
jour où elle serait enfin l'élue pour la lourde mission de tenir deux planches
ensembles.
Toutefois, ses rêves l'amenaient souvent à de plus lointains et
fantasques voyages.
Partir dans une caisse à outils voir les routes de son
village!
Ou mieux encore, réparer le portillon de la fourgonnette du
boulanger...
Mais le grand bricoleur céleste en avait décidé autrement, son
destin serait exceptionnel!
Quel fut enfin son soulagement, et surtout son
excitation, quand les deux doigts célestes se dirigèrent vers elle, la
soulevèrent, puis y introduisirent la tête en croix de la puissante visseuse de
l'établi du garage, pour réparer la vieille tapissière du voisin.
Que
d'émotion de quitter son village natal à bord de cette vieille guimbarde
tressautante.
Mais tout ne sera pas si simple dans sa vie de vis à
bois.
Voilà qu'après avoir à peine parcouru 10km, un dos d'âne imprévu fait
bondir la carriole dans les airs, la pauvre rend l'âme sur le champ en y
répendant toutes ses pièces sur la route, et notre héroïne aussi!
Mais
sans une seconde de répit, la roue de la voiture d'un émigré turque de passage
par là, vint s'écraser sur elle et la voilà repartie vers un autre
horizon.
Après un long voyage bien coincée dans un repli du pneu,
roulant sur une autoroute allemande, une subite envie de vitesse titilla le
conducteur et, sous l'effet de la force centrifuge, la fit s'éjecter dans un
voyage quasi sidéral... (à son échelle) pour atterrir dans le pare-brise d'un
camion suédois qui rentrait chez lui après avoir effectué une livraison de
pièces en acier tout aussi suédois!
Tapie dans un coin de la cabine parmi
de nombreux morceaux de verre, elle se laissa bercer par le roulis du bac
assurant la traversée vers la péninsule baltique.
Mais là, pris par un ennui
bien compréhensible, le propriétaire du camion entreprit de le nettoyer
intérieurement.
La voilà découverte et aussitôt éjectée par dessus l'épaule
du malotru sur le pont du bateau.
Roulant au gré de la houle, elle finit sa
course tête en bas, entre les planches du ferry.
Sur le chemin du retour,
un motard norvégien embarqué sur le ferry vint prendre le relais en emportant
notre exploratrice, qu'il cacha dans un des (peu nombreux) replis de son
pneu arrière.
Bien coincée dans sa gangue de caoutchouc, notre voyageuse
repartit ainsi vers la Hollande.
Après une courte halte vers Maastricht
pour remettre de la pression dans ce pneu qui commençait a marquer sa
désapprobation de transporter une clandestine, la moto se dirigea vers sont
point de chute... (terme pas très judicieux pour une moto) un grand
rassemblement de motards dans le fin fond de la Belgique.
Arrivée vers
midi, notre vicieuse mais oh combien sympathique petite vis, un peu engourdie
par la route, n'avait qu'une envie, c'était de prendre un peu l'air et c'est ce
qu'elle fit... avec celui du pneu de son Viking!
Celui-ci tout dépité en
voyant les dégâts, se morfondait d'être venu se perdre dans ce coin oublié avec
un pneu aussi bien... ventilé!
Par chance une camionnette d'assistance
digne d'un grand prix de formule 1 repliait bagage à 5 mètres de là et proposa
ses services.
Le mécanicien, zèlé mais peu bavard, entreprit le démontage
du pneu avec méthode et, sur le parking qu'il monopolisa, aligna à même le sol,
les pièces démontées de la roue arrière.
Après avoir trouvé notre indigente,
qu'il rangea avec le reste sur le sol, une autre moto à la recherche d'un
emplacement de parking, sans y faire attention, prit en stop la
petiote.
Maintenant habituée a avoir l'air... pincé, notre malicieuse se
remit en route, bien plantée jusqu'à la garde et heureuse d'être tombé sur un
pilote chevronné (elle manque pas d'oxygène celle-là)
Malheureusement, après de longues heures de routes, le pilote assoiffé
par sa balade rapide, se dirigea vers un lieu de repos et, là, la bordure d'une
terrasse la saisit et voilà que lui vient un affreux hoquet qui la... déjante un
peu et lui fit perdre son étanchéité.
Notre malheureux transporteur,
n'ayant jamais imaginé rencontrer telle friponne sur son chemin, se crêpa le
chignon... (ben oui, il n'y a pas que les femmes qui portent des longs cheveux !)
de voir son pneu aussi plat, mais décida avec courage de ramener sa monture au
bercail en passant plusieurs fois par la case... station de gonflage, histoire
de garder un maximum de pression dans son dortoir à clandestine.
Arrivé à
bon port, il auscultât son pneu pour remédier définitivement à l'immigration des
corps étrangers errant sur les voies publiques!
C'est ainsi que finit
notre aventurière dans une autre boîte, peuplée de petites vis de tout horizon,
chacune avec une histoire particulière. Car son dernier logeur,
sensible mais surtout très bien ordonné, ne pouvait se résigner à abandonner
sur la rue une petite vis un peu usée, encore en état de servir!
Ce
périple étonnant me fut raconté par mon grand-père, il y a bien longtemps par
une froide soirée d'hiver au coin du feu. Moi, je tenais un bol de soupe bien
chaude dans les mains; lui, serrait bien fort dans ses mains usées par le travail
de toute une vie une vieille petite boîte pleine de petites vis
hétéroclites.
vendredi 5 avril 2013
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